jeudi 3 décembre 2009

Du piquet de grève à la régularisation

En avril 2008, les grèves des travailleurs sans-papiers font la Une des journaux. Le restaurant La Grande Armée, le Café de l'Ile de la Jatte, le Bistrot Romain des Champs-Elysées... la France découvre les coulisses obscures des métiers de la restauration. Les piquets de grève suivis de régularisations ont beaucoup fait parler à l'époque mais la lutte continue toujours. Chaque jour des dossiers sont déposés à la préfecture dans l'attente d'une régularisation.

Dans la silencieuse salle inférieure de la pizzeria Marzano, boulevard des Italiens, Moussa s'attable devant un plat de spaghetti au pesto. Vu l'ambiance décontractée et amicale qui règne ici, il est difficile d'imaginer que pendant trois mois, huit cuisiniers ont fait grève pour être régularisés.

En avril 2008, les travailleurs sans-papiers de cette pizzeria des beaux quartiers demandent le soutien de la CGT et montent un piquet de grève. Durant la mobilisation, ils ont dormi, mangé, vécu sur place, tenté de faire signer leur pétition par des passants peu réceptifs mais n'ont jamais perdu espoir. « Avoir le soutien de la CGT, ça voulait dire être en sécurité et avoir des retombées médiatiques ». Michèle Boissy, secrétaire de l'union locale CGT du IXème arrondissement, a réellement vécu la mobilisation en s'installant avec eux et en s'occupant des médias attirés par cette mobilisation d'envegure. Sur le blog « Le Journal d'une grève » qu'elle tenait en collaboration avec le site Internet du Nouvel Observateur, elle raconte, le 21 avril : « Les cuisiniers sont fatigués car ils dorment sur des chaises. Ils ont tout de même réussi à faire rentrer des couvertures. Ils ne sortent que deux par deux pendant la journée pour prendre des douches. Ils partent à tour de rôle. »

Tablier blanc, sourire généreux et regard intimidé, à 24 ans, Moussa se souvient de cette période et est un homme heureux. Parti du Mali et arrivé en France en 2004 grâce à un visa de tourisme, il travaille à la pizzeria Marzano depuis 1 an et demi et il est fier d'être enfin en règle : « Ça change la vie d'avoir des papiers. Maintenant, je n'ai plus peur quand je croise des policiers dans la rue. »

Pour Samba, un autre cuisinier malien arrivée en France en 2001 après avoir tenté une expédition aux Etats-Unis, avoir des papiers lui a apporté la « tranquilité d'esprit ». Il envisage maintenant avec plaisir d'aller voir sa famille : « Je suis heureux d'être libéré de la peur d'être expulsé et je mets de l'argent de côté pour retrourner au pays. Je veux revoir le Mali, ma famille et je vais adorer revenir en France. Légalement. Par la grande porte ! » Les deux hommes sont reconnaissants pour le travail et le soutien des syndicats qui ont coordonné les grèves.

Des salariés prêts à se battre

Le 15 avril, la région Ile-de-France voit se lever des piquets de grève et découvre les visages de ces travailleurs peu considérés. Olivier Villeret, secrétaire général CGT d''Ile-de-France, explique que le mouvement a connu ses prémices en 2007 avec une multipication de manifestations puis a connu une réelle avancée avec la grève des sans-papiers du restaurant de la Grande Armée. En une semaine, sept salariés sont régularisés et la CGT voit débarquer dans ses bureaux une foule de sans-papiers « prêts à se battre ». Le syndicat des travailleurs prend conscience de l'étendue du problème et fédère les sans-papiers pour une grève historique.

Dans la pizzeria Marzano, la bataille a duré trois mois. Le responsable ne veut plus parler de cette période. Il est « soulagé que ce soit fini et heureux que tout soit en règle ». Comme beaucoup d'employeurs, il dit avoir appris le statut de sans-papiers de ses employés en même temps que la grève. Comme beaucoup d'employeurs, il a préféré entrer en négociation avec les syndicats et aider les procédures. La CGT note que les relations sont presque toujours restées courtoises pendant les négociations : « Dans les cas de grèves avec occupation, les patrons étaient un peu hostiles pendant les deux premiers jours puis ils nous ont aidé. C'était aussi dans leur intérêt. Certains dossiers ont nécessité trois mois alors que, dans d'autres établissements, des patrons ont été capables de rassembler les pièces en deux heures. »

Le récépicé reçu, les salariés régularisés sont prêts à vivre leur nouvelle vie mais essayent de se tenir au courant de l'évolution des autres piquets de grève. Selon le responsable CGT, 2 190 salariés sans-papiers d'Ile-de-France se sont mis en grève le 15 avril. A l'heure actuelle, environ 1 400 ont été régularisé. Dans les restaurants parisiens, on scande 100% régularisations. Une belle victoire. Mais dans le secteur du bâtiment, les dossiers sont plus complexes.

Dans le 10ème arrondissement, à l'angle de la rue Saint-Vincent-de-Paul et de la Place de Roubaix, une banderole rappelle que quatre-vingts-huit salariés de Man BTP sont en grève. Selon le protocole d'accord passé entre l'entreprise et les sans-papiers, la grève est « silencieuse ». Un condition préalable demandée par la préfecture avant l'examen des dossiers. Djiby Sy, porte-parole de ceux qu'ont appellent les « 88 », explique que tout le monde a repris le travail pendant que les dossiers sont montés par les quatre délégués. « C'est important de rester en bon contact avec l'entreprise. De plus les dossiers sont déposés au fur et à mesure à la préfecture et l'attente peut être longue. On est tous là pour travailler. » Ce Mauritanien de 40 ans a un sacré bagage (étude de droit, d'informatique, de gestion) et « une bonne expression ». Arrivé en France en 2000, il a été gérant d'un magasin puis agent de sécurité avant d'être embauché, en 2003, par Man BTP, une agence de travail temporaire spécialisée dans le bâtiment et les travaux publics. En voyant la vague de régularisation découlant du mouvement du 15 avril, Djiby Sy « prend son courage à deux mains, veut entrer en lutte » et devient l'un des inistiateurs de la revendication dans son entreprise.

Des salariés comme les autres

Commencé en juillet, ce mouvement met aussi en lumière le problème du statut des sans-papiers intérimaires dans le droit français. Les syndicats ont dû se battre pour intégrer les intérimaires au sein de l'article 40 de la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile concernant l'immigration pour motifs professionnels. Olivier Villeret (CGT) explique : « Ce sont des salariés comme les autres. Avant, l'intérim, c'était un choix mais maintenant, c'est plus par défaut. Surtout pour les sans-papiers. La bataille pour intégrer les intérimaires dans l'article 40 a permit d'ouvrir un droit mais les conditions sont contraignantes. Le sans-papier peut accéder à la régularisation s'il peut prouver de 910 heures de travail dans une même entreprise et si un donneur d'ordre, une entreprise, promet de le faire travailler 12 mois sur les 19 mois suivant. » Depuis le 20 décembre 2008, il existe donc un droit écrit. Qu'il faut maintenant faire appliquer. Mais pour la CGT, faire appliquer le droit du travail, c'est une « lutte classique ».

Avec les trois autres délégués, Djiby Sy s'occupe des dossiers de ses collègues « moins instruits ». Il apprécie l'aide des syndicats dont l'Union syndicale Solidaires où il est adhérent mais aussi des associations d'aide aux sans-papiers comme Droits devant !!. Pour cette nouvelle année, il sent que la loi est derrière lui : « On paie des impôts, on cotise. Nous sommes des salariés comme les autres et nous faisons partie de la France qui se lève tôt. »

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