jeudi 3 décembre 2009

L’Interview de BeigBEDAUX : Yannick Jadot

Interview réalisée dans le cadre de l'exercice de fin d'année de l'IPJ : réalisation d'un GQ fictif mais complet. Voir l'article en PDF.


Yannick Jadot : « On ne peut pas attendre d’avoir tous les pouvoirs pour changer les choses. »

Toujours en transit entre Strasbourg, Bruxelles et Paris, Yannick Jadot est un homme difficile à attraper. Après deux semaines de rendez-vous manqués et d’échanges de mails avec son attachée parlementaire, c’est un vendredi après-midi – dernier carat – qu’on arrive enfin à se joindre au téléphone. Il n’a pas beaucoup de temps à m’accorder, mon téléphone grésille à côté de mon magnétophone mais l’entretien prend enfin forme. Comme souvent, on n’a « que dix minutes » mais on discute bien plus longtemps que prévu. Il faut dire que ce tout nouveau député européen a de quoi dire. Il a cette passion politique et ce discours pas encore polissé qui définissent les « petits nouveaux ». Son combat, il y croit, et ce n’est pas parce qu’il siège maintenant au Parlement européen qu’il va s’assoir sur ses convictions. Entretien avec un ex-Greenpeace new-député siglé Europe Ecologie, déterminé à faire du Sommet sur le climat de Copenhague (du 7 au 18 décembre) un évènement historique. Parce que le monde le vaut bien.

GQ : Nous avons choisi de vous interviewer car nous aimons bien votre profil, le côté « quadra », agent de la vie civile débarquant en politique… On a pas mal entendu parler de vous lors du Grenelle de l’environnement car vous étiez, alors, l’un des principaux négociateurs. Entre nous, est-ce que les résultats peu féconds de cette réunion vous ont poussé à vous lancer dans la politique ?
YJ : C’est exactement ça. J’ai été pris d’une évidence, les associations font bien leur travail, se battent, portent des propositions et des solutions… Et face à elles, c’est vraiment le côté politique qui pêche.

QG : Comment passe-t-on de l’autre côté de la barrière ? Ca ne doit pas être facile de changer de point vue quand on a toujours été du côté des militants…
YJ : Oui, ça n’a pas été facile. Mais il faut savoir s’adapter et l’aventure Europe Ecologie m’allait bien. En organisant ce nouveau rassemblement et en obtenant plus de 16% aux élections européennes, je crois qu’on a un peu fait pour la reconstruction de l’offre politique en France. C’est une manière très enthousiasmante d’entrer en politique !

GQ : Comment avez-vous analysé ce bond en avant de conscience verte des Français aux élections européennes ? Est-ce une réaction à la politique libérale de Sarkozy ?
YJ : Je ne sais pas si la politique de Nicolas Sarkozy en elle-même a quelque chose à voir avec ce résultat électoral mais je pense que les Français en ont ras-le-bol des discours. Ils attendent des réponses. A Europe Ecologie, nous avons articulé une réponse à la fois écologique, sociale, éthique et démocratique. Je pense que c’est cela qui a marché, en plus du casting. Daniel Cohn-Bendit, Eva Joly, José Bové ne sont pas des gens qui apparaissent dans le champs politique comme des vieux routards.

GQ : Ce sont quand même des figures hyper-connues… Si ce « casting » a fonctionné, est-ce grâce à cette image de rebelles repentis ?
YJ : Pourquoi repentis ?

GQ : Quand on obtient un mandat, on se range un peu, non ?
YJ : Non, je ne crois pas. On garde la même envie de changer les choses, simplement on sait qu’il faut mettre…

GQ : Les formes… ?
YJ : Les mains dans la machine ! C’est tout de même la meilleure manière pour changer les choses. Nous sommes tous radicalement réformistes dans le sens où on sait qu’il ne suffit pas de faire des grands discours et d’attendre. Les niveaux de crises sont tels qu’il faut, tous les jours, s’efforcer de changer les choses. Bon, c’est sûr que quand on est dans un Parlement, nous n’avons pas les mêmes discussions qu’à Greenpeace ou ailleurs. Mais non, je ne crois pas qu’on se soit assagi.

GQ : OK, vous n’avez pas changé. Mais pour en finir avec le casting : comme moi, vous pensez que c’est cela qui a plu aux Français. Ce côté casse-cou, brut, ces personnalités qui n’ont pas lâchés le lien avec le réel.
YJ : Oui, tout à fait. Mais avoir un beau casting, ça ne suffit pas, l’idée c’était d’avoir des personnes avec un parcours, des expériences, un réel engagement. Pas seulement des personnes pour occuper des postes mais des gens avec des idées pour lesquelles elles se sont battues et qui continueront à se battre avec conviction et sincérité.

GQ : Depuis juin, donc, vous êtes député européen. Comment se passe cette nouvelle vie ? Comment passe-t-on de la possibilité de la radicalité de l’action pendant vos années Greenpeace à être assis au Parlement ? Et n’avoir plus que la parole pour convaincre…
YJ : C’est vrai, c’est autre chose. Maintenant, c’est un travail législatif où il est question de propositions d’amendements, de textes… C’est une approche plus complexe par rapport à la réalité. On découvre les pressions, le lobbying, les jeux d’influences… la réalité du jeu politique. Mais tous, nous continuons nos combats. Toujours. Pour ma part, c’est Copenhague. Pour José Bové, c’est l’agriculture. Eva Joly, les paradis fiscaux. Nous y travaillons toujours avec acharnement mais différemment avec la certitude que c’est par ce biais que nous arriverons à traduire nos combats dans la réalité quotidienne des citoyens.

GQ : En me renseignant sur vous, je suis tombée sur vos notes de blog sur le site d’Europe Ecologie et j’ai eu l’impression que vous touchiez à l’absurdité du mandat politique… Un univers où le sommet de Copenhague oublie presque les problématiques climatiques pour ne devenir qu’une histoire d’argent…
YJ : L’argent, c’est le nerf de la guerre. Aujourd’hui, il va falloir que le Nord assume ses responsabilités dans le changement climatique et aide les pays du Sud qui ont plus ou moins de moyens pour faire face à ces changements alors qu’ils n’y ont pas contribué ou très peu. Il est question d’aider les pays en développement à s’adapter en les orientant, par exemple, vers des solutions durables non polluantes. C’est un enjeu de justice internationale. C’est vrai qu’à un moment cela se traduit en termes financiers.

GQ : En chiffres, de combien parle-t-on ?
YJ : Ce qu’on demande à la France c’est de distribuer 2 milliards d’euros au Sud avant 2020. À titre de comparaison, l’année dernière, la France a dépensé 11 milliards d’euros dans son industrie automobile. Je ne dis pas qu’il faut enlever 2 milliards à l’automobile mais cette somme me semble peu élevée par rapport à l’enjeu.

GQ : C’est peu par rapport à ce qu’il faudra payer lorsque les catastrophes arriveront...
YJ : Exactement.

GQ : Pour l’instant, j’ai surtout lu que chaque pays montait des combines pour prendre de l’argent ailleurs afin de le redistribuer au Sud. Vous qui êtes dans le secret des préparations du sommet de Copenhague, dites-nous en exclusivité, est-ce que l’on va arriver à un accord ?
YJ : Ca va être extrêmement difficile. Mais, vous savez, ça a toujours été difficile. Cela fait trente ans que le Nord promet des choses au Sud sans jamais tenir ses engagements… Ce n’est pas nouveau mais là, en plus, la crise leur donne un joli nouveau prétexte pour ne rien faire. Ils ont sorti des millions pour sauver les banques et maintenant ils nous disent qu’il n’y a pas d’argent. C’est difficile à entendre.

GQ : Très concrètement, pour ceux qui n’y connaissent pas grand-chose, quand est-ce que seront prises les décisions ?
YJ : Cela fait quasiment un an et demi qu’on négocie Copenhague, mais les choses ont malheureusement très peu avancés parce que chacun joue à « si tel pays ne s’engage pas, je ne m’engage pas ». Tout cela est très compliqué, les américains ne sont toujours pas prêts à négocier… mais une négociation c’est aussi une aventure humaine. Souvent, lors des derniers jours, il y a une prise de conscience. On peut imaginer que les chefs d’Etats prendront leurs responsabilités et qu’ils décideront d’un accord. Ca ne sera peut être pas le meilleur accord mais il décidera de choses à peu près sérieuses. Aujourd’hui, je ne suis pas très optimiste.

GQ : Et si – scénario catastrophe – aucun accord important ne sortait de ce sommet ?
YJ : C’est possible que cela se finisse mal. Mais les évidences de la transformation de la planète sont tellement présentes que je ne vois pas comment on pourrait se passer d’un accord ! On va pousser les chefs d’Etat à faire un maximum car ce n’est même plus une simple question d’écologie. Tous les scientifiques prévoient des catastrophes.

GQ : Vous n’avez donc pas perdu espoir ?
YJ : C’est une obligation. Nous n’avons pas le choix ! Non seulement, cela va créer des problèmes pour des millions de personnes, que ce soit en terme de sécurité alimentaire ou de santé, mais tous les pays vont devoir gérer des exodes de populations car certains lieux deviendront inhabitables. Quelques scientifiques prévoient une élévation du niveau de la mer significative où même la France serait touchée. Ce sont des centaines de milliers de personnes dont il va falloir s’occuper. On est face à quelque chose d’énorme, une urgence climatique, et effectivement, nos chefs d’Etats n’ont pas l’envergure pour nous faire changer de trajectoire. En matière énergétique, en matière d’électricité… on entend beaucoup de discours où ils prétendent être convaincus mais au fond, ils n’ont pas totalement mesuré l’étendue du problème et préfèrent s’occuper d’autre chose.

GQ : Vous êtes donc venu en politique pour faire évoluer les choses… Pourquoi avoir choisi un mandat européen ?
YJ : Aujourd’hui, toutes les questions environnementales passent par l’Union européenne, l’Europe est souvent plus éloignée des lobbys que les gouvernements donc elle agit un peu plus au service de l’intérêt général. Pour lutter contre les changements climatiques, l’Europe permet de changer les choses à l’intérieur du continent (s’occuper des régions, des transports, des vraies réformes sur le bâtiment) mais c’est aussi un espace politique qui permet de s’exprimer à une échelle internationale. En siégeant au Parlement européen, on peut peser dans les discussions internationales.

GQ : Vous êtes 14 députés Europe Écologie. Même si vous vous alliez avec d’autres députés connus pour leur sensibilité à l’écologie, vous ne faites pas encore le poids pour peser dans la balance. Comment marche le jeu des alliances ?
YJ : On s’allie avec des centristes, des députés de la gauche de la gauche, des socialistes et même parfois avec des conservateurs. On ne peut pas attendre d’avoir tous les pouvoirs pour changer les choses, sinon on n’y arrivera jamais. Il faut trouver des alliés, des compromis et convaincre du bien fondé de nos idées. Si vous regardez la résolution adoptée par le Parlement sur le sommet de Copenhague, elle est à peu près en ligne avec ce que l’on défend : au moins 30% de réduction des émissions de CO2 d’ici 2020, au moins 30 milliards d’aides distribués aux pays du Sud. C’est très loin, dans le bon sens du terme, de ce que proposent les Etats. Donc là, tous groupes confondus, on arrive à obtenir du Parlement une proposition très progressiste.

QG : C’est assez rassurant de se dire qu’au Parlement européen, on arrive à faire bouger la machine. Le plus embêtant c’est de réaliser qu’ensuite, ce sont les Etats qui bloquent. Dans le cas du sommet de Copenhague, c’est flagrant.
YJ : Vous savez, en Europe, les égoïsmes nationaux font sans cesse obstacle, c’est vraiment la pire des choses.

GQ : En parlant de politique nationale, les régionales approchent. Comment se prépare Europe Ecologie ? L’alliance avec les Verts fonctionne-t-elle toujours bien?
YJ : Europe Écologie se poursuit et s’élargit avec de nouvelles arrivées et de nouvelles composantes politiques. Comme aux européennes, il y a des candidats Verts et des non-Verts, bien que nous aurons certainement plus de mal à obtenir ce que nous avions appelé la « parité » lors des européennes. En région, le poids des élus sortant est important.

GQ : Cécile Duflot, secrétaire nationale des Verts, est candidate en Ile-de-France. J’imaginais un choix plus culoté, un pur Europe Ecologie…
YJ : Je ne suis pas vert et pourtant j’ai fait partie de ceux qui ont poussé Cécile Duflot à se présenter. Premièrement, parce que le succès des Européennes, c’est aussi le succès des Verts. Deuxièmement, parce qu’une femme de 34 ans, qui est convaincue, sincère et qui a apporté quelque chose au rassemblement écologique européen, c’est un choix osé.

GQ : Bon, c’est vrai, je me souviens, elle a encouragé l’émergence d’Europe Écologie face à d’autres Verts récalcitrants…
YJ : Tout à fait. C’est pour cela que je crois que sa candidature est une bonne candidature. Cécile Duflot va bien avec le changement de ton autour de l’écologie. Jusque-là, ce qu’on entendait sur les écolos c’était quand même « c’est important qu’ils soient là, ce qu’ils défendent est essentiel mais globalement, on ne va pas leur filer les clés de la maison parce que cela va tout de suite être le bordel ».

GQ : Oui, c’est à peu près l’image que j’avais en tête…
YJ : Oui, mais c’est fini ça. Avec Europe Écologie, l’écologie a changé.

GQ : Et si on pousse le fantasme plus loin, peut-on imaginer une fusion totale entre Europe Ecologie et Verts ?
YJ : Ca, on verra après les régionales. Il faut d’abord qu’on gagne ces élections. Si on ne fait pas un bon score, on entendra dire qu’on ne fait pas mieux que les Verts, qu’on a gagné aux européennes parce que c’étaient les européennes et qu’il y avait Cohn-Bendit en figure de proue. Il faut qu’on confirme ce résultat. Et si on le confirme, on se posera les questions sur l’avenir et la forme que prendra Europe Ecologie. Mais on verra ça après !

GQ : Dites-moi… N’avez-vous pas l’impression de travailler pour le diable ? En France, on a tendance à diaboliser « Bruxelles ». C’est le grand méchant loup…
YJ : Cela fait partie des logiques très égoïstes dont on parlait tout à l’heure… Quand il y a quelque chose de bien, ce sont les gouvernements, quand quelque chose va mal, ça vient forcément de Bruxelles. C’est l’hypocrisie absolue de nos dirigeants sur l’Europe. Pour faire évoluer les choses, il faut agir à tous niveaux. En France, au local et au niveau européen car, oui, le cadre européen peut obliger la France à faire des choses.

GQ : Je crois que c’est à cause de ce dernier point qu’on est carrément anti-Bruxelles en France...

Biographie :
Né en 1967, Yannick Jadot commence par une formation d’économiste avant de se consacrer pendant douze ans à la solidarité internationale à travers l’ONG Solidarité Agricole et Alimentaire (Solagral). En 2002, il devient directeur des campagnes de Greenpeace France. Lors de la présidentielle de 2007, il cofonde l’Alliance pour la planète et en devient le porte-parole avant de devenir l’un des initiateurs et négociateurs principaux du Grenelle de l’environnement. Cet acteur écologiste se tourne alors vers la politique en assistant la création du mouvement Europe écologie. À l’occasion des élections européennes 2009, il devient tête de liste dans l’Ouest et est élu. Désormais, député européen, il fait partie du groupe des Verts/Alliance libre européenne qui compte 55 membres, 4e groupe politique du Parlement. Il est aussi vice-président de la commission au commerce international et industrie, recherche, énergie.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire